Source: Pourlascience.fr
La plus vieille jambe de bois
Une jambe de bois de qualité étonnante a été retrouvée dans une tombe du IIIesiècle avant notre ère, du bassin du Tarim, en Chine. Ce serait la plus ancienne prothèse de jambe fonctionnelle.
Une tentative de reconstruction de l'usage de la jambe de bois retrouvée à Tourfan en Chine occidentale.
DAI/S. Lochmann
La prothèse de jambe, façonnée dans le peuplieret la corne, comporte quatre parties.
Mayke Wagner, Institut archéologique allemand (DAI)
Pour en savoir plus
Xiao Li et al., Archaeological and palaopathological study on the Third/second century BC grave from Turfan, China : Individual health history and regional implications,Quaternary international, 8 mai 2013.
E. Ho, Loulan, le royaume du désert, Pour la Science N°328, février 2005.
L'auteur
Francois Savatier est journaliste àPour la Science.
Entouré de montagnes, le bassin du Tarim, entre Chine et Afghanistan, est l’une des régions les plus sèches du monde. Cette particularité assure une très bonne conservation des matériaux organiques. Pour preuve, Mayke Wagner, de l’Institut archéologique allemand, et ses collègues viennent de trouver dans une tombe une prothèse de jambe en bois vieille de 2 200 à 2 300 ans.
Alors qu’à l'époque, Alexandre le grand avançait en Asie centrale par l’Ouest et que l’Empire chinois des Han s'étendait depuis l’Est, des communautés agropastorales occupaient les oasis du Tarim. Celles du Nord-Ouest voisinaient avec les Xiongnus, une confédération de tribus proto turco-mongoles, qui dans les derniers siècles avant notre ère établit un empire en Transbaïkalie, en Mongolie et en Chine du Nord. Par ailleurs, dans le désert du Taklamakan, dans le Sud du bassin du Tarim, de nombreuses momies d'hommes et de femmes de type européen ont été retrouvées, tandis que des Scythes vivaient dans le massif de l'Altaï en Mongolie voisine et que des proto-Iraniens occupaient le Nord-Est du Tarim. Bref, aucune certitude n'existe sur l'appartenance ethnique des habitants du Nord-Est du bassin du Tarim dans les derniers siècles de notre ère. Les archéologues chinois, pour leur part, se refèrent à un royaume de Cheshi, cité dans les textes chinois anciens, sans qu'il soit possible d'affirmer qu'il était relié aux Xiongnus. Quoi qu'il en soit, la tombe récemment fouillée relève d'une culture agro-pastorale de l'oasis de Tourfan, dans l'actuel Turkestan chinois (Xinjiang).
La tombe fait partie d'une nécropole de 31 tombes située à 35 kilomètres à l’Est de Tourfan. Un homme y a été enterré à un mètre de profondeur avec un peu de vaisselle et deux arcs à double courbure, typiques des guerriers montés nomades d’Asie centrale (Xiongnu, Huns, etc.), redoutés de toutes les civilisations de l’Antiquité. La tombe, qui avait été bourrée de paille lors de son inhumation, fut réouverte par la suite pour y placer une femme, peut-être sa compagne. D’une taille d'au moins 1,75 mètre et de constitution robuste, l’homme semble avoir eu une vie active jusqu’à sa mort. Toutefois, il a été ateint de la tuberculose, qui a laissé des nécroses sur ses vertèbres et ses côtes. L'individu semble avoir résisté pendant des années à la maladie. La surface de ses os nécrosés est en effet, ce qui prouve que l’infection a été stoppée des années avant sa mort. Toutefois, la maladie l’a sérieusement estropié, puisqu’elle a provoqué une ankylose osseuse de son genou gauche, c’est-à-dire une fusion complète du fémur, de la rotule, du péroné et du tibia. Résultat : sa jambe s’est retrouvée bloquée selon un angle de 135 degrés et tournée vers l’intérieur de 11 degrés. Impossible dès lors de marcher !
Heureusement, les artisans de l'oasis de Tourfan semblent avoir eu assez de savoir-faire pour l’aider. Ils ont façonné une prothèse de jambe d'une qualité étonnante : elle est comparable aux prothèses utilisées pour les mutilés de guerre après 1918 ! Longue de 89,2 centimètres, elle comporte quatre parties. D’abord, une plaque de bois (probablement en peuplier) de 52 centimètres de longueur et jusqu’à 2,5 centimètres d'épaisseur percée de 16 trous d’arrimage montait jusqu'à la taille. Elle se prolongeait par un pilon, dont l'extrémité s’enfonce dans une corne de chèvre ou de mouton destinée à assurer le contact avec le sol. Finalement, une rondelle taillée dans un sabot d’âne ou de cheval limitait l’enfoncement du pilon dans les sols meubles.
Cette prothèse de jambe se fixait à la cuisse par l’extérieur, comme l’indique l’usure de la plaque fémurale par le genou. Les deux trous supérieurs servaient probablement à fixer le haut de la prothèse à une ceinture, tandis que les six paires de trous placées de part et d’autre de la plaque acceuillaient sans doute des lacets de cuir enserrant la jambe. L’usure des trous et de la plaque indique que cette jambe de bois a été utilisée pendant des années, jusqu’à faire partie du corps de son propriétaire au point d'être placée dans sa tombe avec lui.
Les datations au carbone 14 de 10 échantillons d’os et de bois placent la vie des occupants de la tombe entre 200 et 300 avant notre ère, et l’abattage de l’arbre dans lequel fut taillée la jambe de bois vers 320. Avant la découverte de la jambe de bois de Tourfan, la plus ancienne prothèse de jambe attestée était la jambe de bois et de bronze découverte en 1885 dans la tombe d’un riche habitant de Capoue, en Italie, qui daterait de 2300 ans d'après les céramiques retrouvées dans la tombe. Mais elle n'était guère fonctionnelle. À peu près aussi ancienne, la jambe de bois de Tourfan est donc la plus ancienne prothèse de jambe fonctionnelle de l’humanité.
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