Tuesday 5 April 2016

Charles-Eudes Bonin (1865-1929), explorateur-diplomate au coeur du Grand Jeu

Au coeur du grand jeu : la France en Orient : Charles-Eudes Bonin (1865-1929), explorateur-diplomate


by Stéphane Malsaine 

  • Broché: 580 pages
  • Editeur : Librairie orientaliste Paul Geuthner (1 septembre 2015)
  • Langue : Français
  • ISBN-10: 2705339353









La France au cœur du Grand Jeu 

Par Henry Laurens
2016 - 01 
La plupart du temps les biographes s’intéressent aux grands rôles de l’histoire, souverains, chefs d’État, généraux, mais peu à ceux que souvent on aperçoit à l’arrière plan des peintures et des photographies d’histoire. Pourtant ces seconds rôles peuvent instruire plus, parce qu’ils montrent les intérêts et les fonctionnements d’une société.

Né en 1865 à Poissy d’un père médecin, Charles Bonin fait d’excellentes études secondaires. Passionné de littérature, il fait partie d’un groupe de jeunes poètes. À 19 ans, il entre à l’École des chartes. Après une brève carrière dans l’administration préfectorale, il entre au ministère des Affaires étrangères qui l’envoie comme « commis de résidence de première classe » en Indochine à la fin de 1889. Le jeune homme reste quatre ans dans la nouvelle colonie où il se révèle homme d’action, en particulier en matière d’exploration. En 1894, il fait un voyage périlleux en Malaisie et à Sumatra. Revenu en Indochine, il fait en 1895-96, sa première mission d’exploration en Asie centrale chinoise. Il va jusqu’au Tibet et rencontre pour la première fois des musulmans chinois. En 1897, il revient en France et fait tout pour se voir confier une nouvelle mission d’exploration. Il l’obtient en 1898. Sa seconde mission se déroule dans les régions mal connues aux confins de la Birmanie britannique, de l’Indochine française et de l’Empire de Chine. On comprend bien qu’il peut y avoir des arrière-pensées politiques. Bonin y court de grands dangers d’autant plus qu’il est victime d’intrigues de la part d’un de ses subordonnés. Il peut aller néanmoins jusqu’aux frontières du Turkestan russe.

Il est de retour en France en juin 1900. Il est maintenant un spécialiste reconnu des affaires de la Chine. Il y retourne en 1901 comme consul à Pékin au lendemain de la guerre des Boxers. Il rédige une étude sur l’Islam en Chine qui fait de lui un expert en questions musulmanes. La France voulait, semble-t-il, à cette époque, exercer une sorte de protectorat sur les musulmans chinois. À l’automne 1902, il revient en Indochine comme chef du bureau politique du gouvernement général. Il est l’un des promoteurs de l’entreprise du chemin de fer du Yunnan, un des grands projets coloniaux français. En 1905, après un voyage en Inde, il devient chargé d’affaires au Caire pour quelques mois. En 1906-07, il est secrétaire d’ambassade à Constantinople où il s’intéresse au panislamisme qui revient à l’ordre du jour. Il appartient au groupe des acteurs de la « politique musulmane de la France ». Il publie de nombreux articles sur ce sujet. En 1908, il fait un voyage en Syrie et prend le chemin de fer du Hedjaz jusqu’à Ma’an.

De 1908 à 1911, il est mis en disponibilité. Il en profite pour rédiger ses relations de voyage et de nombreux articles. De 1912 à 1918, il est consul général de France au Canada. Durant la guerre, il mobilise les Français du Canada et fait de la propagande auprès des Canadiens français. On lui doit aussi un rapport sur le sionisme au Canada. Le poste suivant est celui de ministre de France en Perse de 1919 à 1920. Sa marge de manœuvres est étroite à un moment où la Grande-Bretagne tente d’y établir une sorte de protectorat. Ses derniers postes sont ministre plénipotentiaire au Portugal de 1921 à 1924 et directeur des archives de 1925 à 1927. Il prend sa retraite en mars de cette dernière année. Sa retraite est active tout en étant brève puisqu’il décède le 29 septembre 1929.

Si certains sociologues ont parlé d’« illusion biographique », on peut rétorquer que cette mise en sens a d’abord le mérite d’exister. La vie de Bonin renseigne sur ce qu’était la personnalité d’un acteur de la France impériale de la IIIe République. On y voit aussi comment peuvent s’articuler un savoir sinologique puis islamologique à une action politique dans un cadre bureaucratique. Le diplomate a aussi beaucoup publié, en plus grande partie sous formes d’articles. Cet excellent livre de Stéphane Malsagne, qui se lit facilement, permet de mieux comprendre, à partir d’un cadre individuel, ce qu’a été la pratique diplomatique quotidienne de la IIIe République à un moment où l’exploration était encore une réalité aventureuse et où la France était réellement une puissance mondiale comme le montraient les planisphères distribués dans les écoles.

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